Mais pourquoi le rap de Blanc est si différent ?

Aujourd’hui, nous écoutons avec joie et bonne humeur de nombreux rappeurs: JuL, PNL, Booba, Niska, Sofiane…le nombre de rappeurs se multiplient et pas seulement en France, mais partout dans le monde…


Le rap est né dans les années 1970 avec le Hip Hop qui était propre aux Etats-Unis, plus spécifiquement à la population noire américaine. Le rap est utilisé pour dénoncer la société actuelle, le système et en particulier les violences policières. On appelle cela le « rap conscient », en parallèle s’est développé aussi le « rap commercial », qui ne se concentre pas à dénoncer mais qui joue surtout sur la sonorité, l’autotune, les effets musicaux afin de pouvoir se propager dans les boîtes de nuits.

Nous avons aussi une différence entre le rap qui vient des quartiers populaires surnommé « rap de Banlieusard » et le « rap de Blanc ». Même s’il est difficile de faire une telle catégorisation, ces deux raps décrivent une réalité parfois similaires, mais qualitativement différente. Ce Rap de Banlieusard a été longtemps représenté par Passi, NTM, Kery James ou encore Kamelancien. Quant au Rap de Blanc, il est aujourd’hui représenté par Orelsan, Vald, Seth Gueko ou encore Bigflo & Oli. Cette distinction peut être poreuse et n’est pas basée uniquement sur la couleur de peau (bien que cet élément joue un rôle), il y a aussi du ressenti, du vécu, de message, d’histoire, de code, de classe. En conséquence, ces deux types de raps, ne toucheront pas le même public et ne porteront pas le même message. Il est également important de noter que ces deux types de raps ne se définissent pas facilement. Comme nous allons le voir, il y a une difficulté à les définir précisément. Notre démarche va consister à prendre 2 rappeurs avec 2 musiques importantes (en terme de popularité) afin de pouvoir établir les différences que nous pouvons trouver (parmi les dizaines et les dizaines de rappeurs ayant été écoutés, nous avons sélectionné ce qui est le plus représentatif du courant). Nous pourrons identifier les tendances et la véritable différence qui explique un décalage entre ces deux raps.

Le Rap de Banlieue: un Rap conscient, porteur d’une revendication sociale !

Dans le « rap de banlieue », les thèmes abordés sont nombreux: politique, médias, néocolonialisme, famille, communauté, pauvreté, argent, quartiers populaires, prison et évidemment les violences policières. Le but est de pouvoir peindre la réalité des inégalités et de la dénoncer.

On s’axe souvent sur une critique systémique, ici le système est vu comme étant la cause des inégalités. Par exemple, Kery James dans « Racailles » fait une critique du système en disant : « Vous n’avez jamais connu la précarité. Vous vivez à l’écart de nos réalités », cette phrase est significative. L’inégalité est vécue et subie, elle est dénoncée avec émotion, on ne cherche pas à rationaliser ni relativiser mais surtout à inverser le rapport de force, de domination. L’inégalité vécue et dénoncée telle qu’elle est, c’est aussi ce que l’on retrouve dans les paroles de Kamelancien dans « Retour de flamme » qui nous dit: « Ils nous ont mis entre malheureux » évoquant le fait que l’immigration a été mis dans des « ghettos ». D’autre part, le rap ne prend pas une place particulière dans l’échiquier politique, on ne peut pas parler de rap de « gauche » ou de « droite » et Kery James le fait bien remarquer en disant cela : « Racailles ! Républicains ou PS », la responsabilité des malheurs des uns et des autres vient des politiques inadaptées aux réalités des banlieues. Plus loin, dans la même musique, Kery James ne se contente plus de se défendre, mais aussi d’attaquer les politiques. Il va affirmer l’idée suivante « Les mêmes promesses, les mêmes mensonges
Les mêmes tapent dans la caisse, les mêmes plongent » faisant référence à des affaires de corruption puis va énumérer les noms des principaux accusés: « Lequel d’entre eux peut jeter la pierre à Cahuzac ? Racailles ! Claude Guéant, Racailles !, Balkany, Racailles !, Jean-François Copé, Racailles ! ».

« Nous sommes dans une inversion des rapports de domination… »

Être nominatif permet d’avancer des preuves de ce qui est avancé, se positionner dans une posture de connaisseur, et d’éviter de faire des généralités à partir d’une idée préconçue. À la fin, Kery James termine en affirmant explicitement que les politiques sont des voyous: « En costume-cravate sont les vrais voyous Vous ne croyez plus en rien, plus personne croit en vous ». Nous sommes dans une inversion des rapports de domination, Kery James attire l’attention en donnant un qualificatif à ce groupe de politique, celui de la « racaille », des « voyous », car ces derniers commettent tout autant des délits, des infractions, des crimes seulement, ils sont minimisés du fait d’être dominant.

Pour résumer, Kery James dénonce les inégalités, transfert la responsabilité aux politiques de gauche et de droite, accuse les politiques de vol et finit par inverser les rapports de dominations au profit des malheureux. Dénonciation, accusation, inversion, sont les mots qui désignent bien ce rap que nous offre Kery James sur le système.

Le thème de la prison est aussi évoqué dans ce rap. « Le maton me guette » (1997) de Passi est intéressant dans la description de la vie en prison et de la garde à vue ainsi que du rapport entretenu avec la police. Dans ce rap, Passi relate la vie lors des arrestations conduisant à une garde à vue et à la prison. Nous avons 3 idées évoquées dans ce clip: l’idée de délaissement dans la prison, de la famille qui nous soutient, et la violence systémique. D’abord, nous allons traiter du délaissement dans la prison qui est longuement traité par Passi.

« la prison de Fresnes est symbolique d’un système pénitencier violent, sale, délaissé… »

En effet, Passi nous décrit la prison comme étant un lieu déshumanisant. Par exemple, il nous dit : « Il est vingt heures, mon matricule 49203. J’entre en cellule, D128, la porte claque, mon coeur bat. Mon cousin 49204 me parle de dates, me mate ». La prison nous enlève notre individualité, nous ne sommes que des nombres rejoignant d’autres nombres, les relations que l’on entretient avec d’autres humains ne sont que des relations froides sans pouvoir les connaître en profondeur. La prison est en elle-même délaissée, sale et lugubre. Passi nous dit : « Première nuit, matelas pourri, lits superposés. Carreaux cassés, des rats passent sous mes pieds ». Rappelons que ceci n’a toujours pas changé, à ce titre, la prison de Fresnes est symbolique d’un système pénitencier violent, sale, délaissé, déshumanisant (Passi fait référence à cette prison à la fin). Street Press relate les témoignages de 20 détenus à Fresnes. Un autre aspect important est celui de la famille. Il y a un rapport de proximité avec la famille qui soutient le prisonnier et qui ne l’abandonne pas. « Ma famille et mes proches en soutien principal », un détenu n’a que sa famille et ses ami.e.s pour pouvoir obtenir du soutien, du réconfort. La famille soutient le détenu jusqu’au bout, Passi le fait remarquer : « À toutes les familles qui attendaient au parloir », avec l’appui de sa famille qui offre un soutien moral, il y a aussi un soutien juridique pour permettre de mieux se défendre.

« La domination du maton, c’est une domination rationnelle-légale (voir Weber), d’une personne représentante de l’Etat… »

Enfin, nous avons le thème de la violence systémique représenté par la domination de la police et des tribunaux. C’est le thème central de ce rap puisqu’il s’intitule « le maton me guette », le maton est la/le gardien.ne de prison chargé de surveiller les prisonniers. Passi choisit de ne pas dire ce que fait le maton, il ne fait que de redire cette phrase: « le maton me guette ». La domination du maton, c’est une domination rationnelle-légale (voir Weber), d’une personne représentante de l’Etat, ayant un pouvoir sur les prisonniers et qui doit faire respecter des règles avec autorité. Une domination menant à une violence physique comme en témoigne ce fait survenu à la prison de Metz ou surveillant pénitentiel fait une clef de bras contre un détenu. Remarquons le laxisme de la justice pour une récidive venant de ce surveillant pénitencier ayant pris du sursis. Une autre violence systémique c’est aussi celle de la police auquel Passi dénonce : « Pin-Pon-Pin-Pon, les flics s’éclatent, roulent à fond ». Par le fait de tenir une position d’autorité exerçant de fait, une domination envers les citoyens, les policiers peuvent se permettre de pouvoir être au dessus des lois. Alors que ces derniers doivent au contraire faire respecter les lois. Passi y dénonce des policiers qui exercent un abus de pouvoir. Un abus de pouvoir qui, s’il est condamné, la justice fait preuve d’un même laxisme analogue à celui des gardiens de prison. Récemment, il y a eu l’affaire Adama suite à son interpellation à Beaumont-sur-Oise ou encore l’affaire Théo, l’un est mort, l’autre a été gravement blessé par les policiers ou les gendarmes. Dans ces deux affaires, nous voyons un laxisme de la justice qui ne condamne pas ou peu et/ou  relativise ces violences policières.

En bref, Passi dans ce rap nous amène à réfléchir sur la vie du détenu, des conditions dans lequel il est détenu, et du pouvoir exercé par la police ainsi que les surveillants pénitenciers.

Nous venons d’analyser deux raps importants concernant le système, des politiques aux policiers en passant par les gardiens de prison. Nous pouvons retenir de ces musiques, les caractéristiques suivantes:

– Les dénonciations sont multiples: pauvreté, système, inégalité..
– Ce qui est dénoncé est vécu.
– Les individus sont dominés.

Le rap de Blanc, qu-est-ce qu’apporte ce nouveau dans le game ?

Le rap de Blanc rejoint le rap de Banlieue dans la diversité des thèmes abordés: anti-système, pauvreté, inégalité, culture. Mais les similitudes semblent s’arrêter ici. Le traitement de ces thèmes sont différents, de plus, on notera un certain nihilisme de la part des rappeurs blancs évoquant souvent le suicide et la décadence de ce monde. Evidemment, le rap de Blanc n’est pas forcément « blanc » de peau ou ne vient pas forcément d’un milieu aisé, il y a tout autant de différences entre un Seth Gueko, un Big Flo & Oli à un Orelsan. Mais tous se rejoignent sur ces thèmes, le traitement qu’ils en font, le public touché. Le rap blanc par sa diffusion récente et ses nouveaux styles montre clairement que le domaine du rap évolue. Mais comment ce petit nouveau dans le ‘game’ arrive à se faire une place ? Qu’est-ce qui se dit dans ce rap ?

Nous allons commencer par Orelsan et un rap fait en 2011: « Suicide social ». Le titre est évocateur et nous sentons qu’Orelsan veut parler de tout ce qu’il a dans son cœur concernant cette société et ses individus avant d’en finir (spoiler: il n’a pas mis fin à sa vie, il s’est fait un max de thune). Il faut aussi contextualiser ce rap, il est sorti 2 ans après « Sale Pute » (un rap ayant créé une vive polémique), nous y reviendrons plus tard car c’est un détail important pour comprendre le « pourquoi » de ce rap.

« Il en vient à se demander comment Orelsan peut dénoncer les inégalités, la hiérarchie, le système capitaliste si son rap perpétue aussi le mépris de classe et le sexisme ? »

Dans un ton dénonciateur et « nihilisant », Orelsan veut rejeter les normes (« Aujourd’hui je mettrai ni ma chemise ni ma cravate »), ne pas être comme tout le monde (« Fini d’être une photocopie ») et chercher à dénoncer la société (« Mon dernier silence »). Orelsan veut se donner un coté subversif, de « rejet des normes », mais ce dernier n’a jamais été dans la norme du « métro/boulot/dodo », du prolétaire asservi par la hiérarchie bourgeoise. Dans son adolescence, Orelsan a exercé sa passion pour le rap et par la suite, il n’a fait que d’étudier (dont avoir le luxe d’aller dans une Université en Floride aux Etats-Unis) avant de se consacrer au rap. Orelsan continue et fait un lien implicite entre les cadres et les cadavres (« Adieu les jeunes cadres fraîchement diplômés. Qu’empileraient les cadavres pour arriver jusqu’au sommet »). C’est un lien contestable mais pas non plus infondé. En effet, Orelsan essaye de viser ceux qui percent dans la société et qui auront été susceptible d’adopter une vie individualiste, ne s’occupant que très peu des autres et qui n’agissent que par intérêt individuel, l’intérêt égoïste. Orelsan dénonce l’éthique capitaliste et ses méfaits sur la société. Evidemment, c’est intéressant et profond mais cela pose problème dans les paroles qui vont suivre : « Ça t’empêchera d’engraisser ta gamine affreuse. Qui se fera sauter par un pompier, qui va finir coiffeuse ». Il en vient à se demander comment Orelsan peut dénoncer les inégalités, la hiérarchie, le système capitaliste si son rap perpétue aussi le mépris de classe et le sexisme ? Deux formes d’exploitations liées au capitalisme dont profite Orelsan. Nous avons encore quelque chose d’intéressant plus loin : « Ces Parisiens, jamais contents, médisants. Faussement cultivés, à peine intelligents. Ces répliquants qui pensent avoir le monopole du bon goût. Qui regardent la province d’un œil méprisant ».

« Orelsan perpétue exactement les mêmes mécanismes de dominations que les politiques qu’il dénonce… »

On aurait pu penser qu’Orelsan écrit un rap « neutre » qui dénonce « tout » y compris ce qu’il est et d’où il vient. Pourtant, ici il dénonce l’attitude des Parisiens en effectuant une dualité avec les provinciaux mais ce dernier ne va pas non plus critiquer les provinciaux (il vient de Province), puis nous pouvons aussi y voir encore une contradiction quand nous savons qu’Orelsan habite désormais à Paris (et c’est certainement pas pour habiter à Barbes). Il y a des paroles qui viennent qui mélangent à la fois le racisme, le mépris de classe et qui défie frontalement le rap de banlieue: « Adieu les piranhas dans leur banlieue. Qui voient pas plus loin que le bout de leur haine au point qu’ils se bouffent entre eux. Qui deviennent agressifs une fois qu’ils sont à 12. Seuls ils lèveraient pas le petit doigt dans un combat de pouce. Adieu les jeunes moyens, les pires de tous ». Orelsan parle des « jeunes de banlieue » mais particulièrement les « piranhas » qui se « bouffent entre eux » et qui sont à « 12 ». Ce sont des préjugés non assumés explicitement sur les arabes et les noirs, la « racaille » comme dirait Sarkozy, le « bruit et les odeurs » comme dirait Chirac. Tous ces termes utilisés désignant des populations précises mais ne voulant pas utiliser les termes raciaux afin d’éviter de croire qu’ils sont « racistes ». Orelsan perpétue exactement les mêmes mécanismes de dominations des politiques qu’il dénonce dans ce même clip. De plus, notons encore un mépris de classe quand il s’agit de se moquer des jeunes qui n’ont pas eu la chance d’avoir un capital culturel suffisant, d’une mère institutrice, d’un père directeur de collège et qui n’ont pas eu le luxe d’étudier aux Etats-Unis. L’homophobie est aussi présente dans ce rap (« Qui voudraient me faire croire qu’être hétéro c’est à l’ancienne. Tellement tellement susceptibles. Pour prouver que t’es pas homophobe faudra bientôt que tu suces des types »). Orelsan ne fait que de s’opposer au militantisme LGBT en tronquant volontairement leur militantisme. Il véhicule l’idée que l’homosexualité est un effet de mode et que la société tourne autour des personnes homosexuelles.

« C’est la prétention d’Orelsan de penser faire un rap qui dénonce tout, au final, il s’éparpille… »

Enfin, nous avons sa conclusion, ses dernières paroles, ses derniers battements de cœur avant de mourir: « Adieu ces pseudo-artistes engagés. Pleins de banalités démagogues dans la trachée. Écouter des chanteurs faire la morale ça me fait chier. Essaie d’écrire des bonnes paroles avant de la prêcher. » (notons dans sa dernière phrase la transphobie présente: « De la première dame au dernier trav’ du pays! »). Il vise des personnes extérieures à lui et à son rap, à sa vision du monde, à ses réflexions. Quand il parle des pseudos artistes, il ne se mentionne pas, il parle des démagogues sans s’inclure, et pense prêcher des bonnes paroles. En fait, il y a un énorme soucis dans ce rap. C’est la prétention d’Orelsan de penser faire un rap qui dénonce tout, au final, il s’éparpille dans les différents thèmes, sans les maîtriser et sans réussir à dénoncer la société. Il pense se sortir de la domination, des normes, de la hiérarchie, de l’exploitation capitaliste mais il ne fait que de la perpétuer. Et ça, devant des dizaines de millions de personnes. Quand il va dénoncer le/la dominant.e, il va aussi dénoncer les dominé.e.s. C’est faussement égalitaire, le rapport de force est inégal, on ne peut pas traiter le dominé de la même manière que le dominant. Surtout si l’on occupe une position de dominant (Orelsan est un homme blanc de classe moyenne). Quand Orelsan parle des femmes, il ne va pas parler des hommes. Quand il va parler des homosexuels ou des lesbiennes il ne parlera pas des hétéros. Quand il va parler des noirs et des arabes, il ne parlera pas du Blanc. Il dénonce seulement le système capitaliste mais c’est parce qu’il est de classe moyenne qu’il arrive à dénoncer convenablement le capitalisme. Même ici, ça reste à relativiser avec le mépris de classe hallucinant dont il fait preuve (il est de classe moyenne et non de classe populaire en même temps). Même phénomène quand il dénonce les parisiens mais pas les provinciaux.

Mais qu’est-ce qu’en pense Orelsan de ce rap ? Aurait-il regretté de l’avoir écrit ?  Non. Il sortait d’une polémique après « Sale Pute ». Il était conscient de ce qu’il écrivait et ne le regrette pas : « Je n’ai pas d’autocensure, je ne me dis pas ça va provoquer une polémique, je ne le fais pas… au contraire, des fois, je me suis dit, ça ça les a un peu énervé, je me suis dit, là je vais appuyer pile à cet endroit-là un peu plus fort pour montrer que je pense avoir raison » d’après ce qu’il dit au Parisien 

À coté, nous avons un autre rappeur blanc d’origine grecque et écossaise, issu de la classe moyenne et ayant passé une partie de sa vie dans le 15ème arrondissement. Nekfeu alias Ken Samaras est un rappeur blanc parlant et cohabitant avec le « rap de banlieue » (on aurait pu aussi parler de Django ou de Vald). Nekfeu à la différence d’Orelsan va soutenir les banlieusards prolétaires dominé.e.s. Le clip « Le bruit de ma ville ft. Phénomène Bizness » est représentatif de son rap. Il y a 3 axes importants sur ce clip: la représentation du quartier, l’idée de liberté et le rassemblement.

« La vie en quartier n’est ici pas représentée de manière stéréotypée… »

Commençons par la représentation des quartier au sein de ce clip. Le clip commence par une série de plan montrant la ville sous ses différents aspects: travail, train s’ensuit un plan de Nekfeu, un matin en train de se réveiller. Nous avons la définition de la vie urbaine, le fameux « métro-boulot-dodo » retranscrivant une vie urbaine monotone, répétitif, ennuyeuse. L’ambiance parisienne est bien mise en avant cette série de plans où la couleur dominante est grise. Nekfeu va retrouver ses potes dans un endroit à Paris, des potes noirs ou arabes traînant en bande avec un look vestimentaire commun. À la différence des quartiers situés dans les banlieues, les quartiers parisiens sont plutôt étroits, peu espacés, et ayant peu d’espace vert. La « galère » est représentée comme l’activité principal, montrant que les quartiers populaires sont délaissés. Surtout à Paris, ou nous voyons une gentrification progressive importante donnant lieu à des situations ou les inégalités sont particulièrement visibles. La vie en quartier n’est ici pas représentée de manière stéréotypée (présence de violence). Outre cela, il y a l’idée de liberté qui est mise en avant par le refrain que Nekfeu chante: « J’me sens libre quand je t’écris quelques bribes de ma vie. Rapidement dispersées par le bruit de ma ville. J’ai appris que tout ce qui brille vaut pas le prix d’un ami. » Le rap est un moyen de pouvoir se sentir libre et de s’exiler de l’ambiance de quartier nous permettant de réfléchir sur ce qui a véritablement une valeur dans cette vie (opposition « brille » & « ami »). Pourquoi ? Qu’est-ce qui prend notre liberté quand nous vivons dans un quartier ? Nekfeu répond: « Force à toi si la son-pri te l’a pris, on est ensemble« . C’est la prison, un élément que nous avons développé plus haut et qui est une chose importante dans le quartier, c’est une violence systémique.

« Les policiers sont ceux qui te reprennent à la fois la liberté mais aussi le bonheur… »

L’idée de liberté est renforcée quand Nekfeu nous dit : « Force à toi si la son-pri te l’a pris, on est ensemble« , hormis les gens de son quartier, la nuit il n’y a personne et les policiers (ceux qui enlèvent la liberté) sont bien moins nombreux. Les policiers sont ceux qui te reprennent à la fois la liberté mais aussi le bonheur: « Et qu’elle te reprend avec un bruit d’balle ». Nekfeu ne cherche pas à relativiser mais à rejeter la responsabilité des inégalités présentes dans les quartiers non pas sur les individus mais sur le système dont le représentant est le policier. Enfin, le troisième axe important c’est celui du rassemblement. Le rassemblement prend une place prépondérante dans ce clip, nous avons déjà le fait que le clip est réalisé en featuring avec le rappeur Phénomène Bizness, Nekfeu est constamment entouré de ses potes mais une chose intéressante. Dans un plan, nous voyons un pote de Nekfeu avec habit ou il est écrit: « 1995 », nous voyons ce plan plusieurs fois. « 1995 » est un groupe de rap fondé en 2008 par Nekfeu, Akhenaton, Sneazzy et d’autres rappeurs du sud de Paris. Cela montre que Nekfeu, malgré son succès ne va pas oublier pour autant le quartier et qu’il préfère rassembler son quartier autour d’un clip.


En conclusion, cette analyse critique de ces deux types de rap nous montre plusieurs choses intéressantes. Le rap de Blanc et le rap de Banlieue ne sont pas des raps ayant une frontière précise permettant de démarquer systématiquement ce qui relève du rap de Blanc ou du Rap de Banlieue. Mais pour autant, peut-on dire qu’Orelsan fait du rap de Banlieue ? De même, pour Seth Gueko ? Nekfeu ? Ou encore Big Flo & Oli ? Ces derniers peuvent faire du rap de banlieue, l’exemple de Nekfeu nous le montre très bien. Pour autant, ce n’est pas parce qu’ils peuvent en faire de temps en temps, qu’ils font du rap de banlieue. La majorité des oeuvres venant de ces artistes montre que les rappeurs Blancs devront parler d’eux (==> Egotrip) avec des réflexions nihilistes. C’est un rap narcissique (sans jugement de valeur), qui intervient car il sera difficile de trouver l’inspi pour parler plus souvent de la banlieue. On remarque cela avec Vald et son clip « Autisme », « Strip », « Kid Cudi » et Big Flo & Oli avec « Alors alors » ou encore Orelsan et « Si seul ». C’est pour ça que ce n’est pas une division seulement raciale (à ce titre on aurait pu parler de « rap de rebeu » ou encore de « rap de renoi » même si des différences existent aussi entre les deux), mais surtout sociale (Banlieue vs Blanc). Blanc n’est pas seulement la représentation d’une couleur de peau ou d’une race sociale mais aussi la représentation des populations des classes moyennes et d’autres couches « supérieures » de la société ayant des goûts, des problèmes et des besoins différents. Le rap de Banlieue pense avant tout au groupe social, celui des classes ouvrières, des noirs et des arabes, à la famille, aux potes du quartier,  avant de penser à soi. En bref, la plus grande différence entre ces deux raps résident dans la dualité « Collectivisme/Individualisme », le Rap de Blanc est individualiste (penser à soi, à son individu) alors que le Rap de Banlieue est collectiviste (penser son groupe, au gens autour de nous).

Nous vous invitons à regarder cette critique humouristique du rap de Blanc par le journaliste Yerim Sar aka Spleenter :


Cet article n’a pas une vocation scientifique. Il n’est pas question de respecter des conventions telles que la neutralité ou l’absence des jugements de valeur.


Zakaria

Passionné de Transhumanisme, des Sciences Sociales et de Politique


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