Crédit photo : Cyrille Choupas
Urban Street Reporters s’est rendu à l’événement « Histoires de luttes » organisé par la revue Ballast. Cet événement organisé le samedi 7 Avril à La Générale se situant à Paris, a pour but de faire comprendre les enjeux des luttes et de leurs convergences, avec la présence de trois figures importantes des luttes sociales: Assa Traoré (soeur d’Adama Traoré), Anne-Sophie Pelletier (porte-parole des aides-soignantes de l’EHPAD de Foucherans et Laura (cheminote et syndicaliste SUD Rail).
Qu’est-ce que Ballast ?
Ballast est un collectif créé en novembre 2014 représentant 50 bénévoles situés partout en France, en Belgique et au Québec. Ballast crée des articles et organise des événements. La revue est disponible au format numérique mais aussi en format papier. Des thèmes traités autour des luttes sociales, autour de l’émancipation, de l’antiracisme à l’anticapitalisme en passant par les combats autour des luttes écologistes et antispécistes.
Nous avons interviewé Maya Mihindou, une bénévole de Ballast qui nous offre ainsi un aperçu de la revue et de son organisation.
Que fais-tu chez Ballast ?
« Je suis un couteau suisse, au sein de la revue : je fais la mise en page des numéros papier, j’écris des articles et réalise des entretiens ou des illustrations. »
Comment Ballast est organisé ?
« Nous sommes une quarantaine de personnes, dispersées un peu partout en France, mais aussi en Belgique… ce qui n’aide pas toujours à organiser des séances de travail collectives ! Il y a donc le travail au quotidien, pour le site, et celui, au long cours, pour la revue en librairie : ce sont deux espaces différents. On se répartit les tâches, parfois en fonction des sensibilités ou des compétences de chacun : il faut relire, corriger, accompagner l’écriture de certains articles, faire des photos, mettre en page… Autant le site permet une certaine immédiateté, même si nous faisons très peu d’actu, autant il nous faut six mois pour réfléchir et concevoir chaque numéro. »
Comment Ballast se positionne politiquement ?
« On est une sorte de petit carrefour éditorial, un lieu où les différents courants de ce qu’on appelle généralement « la gauche radicale » peuvent discuter, échanger, confronter leurs analyses et leurs pratiques. On s’occupe avant tout de ce qui rassemble, dans l’histoire et de nos jours, ces traditions politiques parfois conflictuelles. On laisse aussi la place à différents langages, de la poésie à l’analyse, du reportage à l’entretien. »
« Histoires de luttes »
– Le lieu –
Le lieu où se passe l’événement « Histoires de Luttes » est un endroit chargé d’histoire et se nomme « La Générale ». La Générale est un squat artistique situé à Belleville au 11ème arrondissement de Paris. Le lieu a été inoccupé pendant un certain temps avant que des artistes viennent le revisiter. Nous avons passé un moment à visiter ces lieux dans ses moindres recoins et nous vous proposons quelques clichés :
À l’étage :
– Dans les coulisses de l’événement –
Nous avons rencontré Nicolas, militant autonome et organisateur de l’événement.
Est-ce que tu peux te présenter ?
« Moi je m’appelle Nicolas, je suis ici pour le Collectif Place des Fêtes pour faire à manger tout à l’heure. J’organise des concerts etc. Je connais des gens à Ballast et je leur ai demandé d’organiser des rencontres avec Assa Traoré et ils ont complété avec deux autres luttes pour faire discuter 3 luttes portées par des femmes. »
Qu’est-ce que La Générale ?
« C’est un collectif d’artistes qui a d’abord ouvert un squat à Belleville qui s’appelle La Générale et ils se sont fait virés et ont obtenu un relogement ici. C’était une ancienne usine électrique qui alimentait les métros. C’est très agréable d’organiser des choses ici. Sur le toit, il y a un jardin. »
Pourquoi avoir organisé l’événement ici ?
« J’avais envie de mélanger, de créer des connexions entre le politique et l’artistique en tant que militant autonome et artiste poète programmateur. J’avais envie que des mondes différents se rencontrent. On attend de cette soirée que les gens viennent pour les danseuses, pour écouter Assa ou les cheminots. »
Comment tu définis ton militantisme ?
« Je pense que je suis militant autonome. Mais ça n’a pas grande importance, ce qui compte c’est ce qu’on fait, monter des cantines populaires, avec le Collectif Place des Fêtes on essaye de faire des actions dehors ou des manifs. »
L’échange démarre…
Le public prend alors place, nous nous installons également pour assister à la conférence des 3 intervenantes. L’échange est original, en effet, les intervenantes sont assises parmi le public ceci permettant d’avoir une proximité avec ce qu’elles disent. Elles ont parlé toutes les trois à tour de rôle en racontant leurs luttes, à travers 3 actes (La vie d’avant/ L’événement déclencheur/ Les moyens de lutte et le présent). Nous vous proposons un résumé de ce que chacune des intervenantes a dit.
Assa Traoré a présenté sa famille et la réputation de sa famille auprès du voisinage (surnommée « la famille formidable ») et les liens de sa famille avec d’autres. Il y a ensuite la présentation d’Adama et ses frères, ces derniers ont subi beaucoup d’injustices dans leur vie notamment avec la police, mais malgré tout, la famille a toujours su rester debout en se projetant dans des projets d’avenirs.
Assa Traoré raconte « l’autre vie », le jour où son frère Adama mourra. Sa journée commence à 10h00, il subit un contrôle d’identité et subira des violences physiques de la part des gendarmes. En partant se réfugier, les gendarmes vont le retrouver aux alentours de 19h00, ils le plaqueront par l’usage du plaquage ventral, il hurle et ce dernier n’arrivera plus à respirer. À 23h00, la mère apprend sa mort. Les médias et la justice traiteront sa famille comme des délinquants.
Une marche sera organisée en sa mémoire. Une seconde autopsie sera demandée qui mettra en évidence sa mort par asphyxie. Ceci se passe en 3 semaines, les jeunes du quartier accompagnaient des militants et ce sont les premiers à avoir parler d’Adama Traoré. Une lutte de quartier s’est formée autour d’Adama Traoré, des barbecues et des jeux gonflables sont souvent ramenés dans le quartier. Assa Traoré met en évidence un acharnement judiciaire, ses frères sont mis en prison pour des motifs non prouvés. Plus de 25 jeunes du quartier ont été mis en prison suite à une intervention des gendarmes lors d’un rassemblement pacifique de ces jeunes en soutien à Adama Traoré. Il y a 7 procès en attente contre Bagui, Yacouba a un procès pour violence contre la gendarmerie, Youssouf pour trafic de drogue. Afin de soutenir la lutte pour Adama Traoré et les violences policières, une cagnotte est disponible ici, un livre et des t-shirts sont aussi vendus.
Laura, la militante cheminote au syndicat SUD Rail, raconte sa lutte. Elle tient à déconstruire le « cheminot-bashing », le travail de cheminot est difficile car ces derniers travaillent jour et nuit, dans des heures décalées. Cette dernière n’a pas le statut de cheminot puisqu’elle n’est pas française. La SNCF discrimine ses employés, nous avons l’exemple des travailleurs marocains qui ont récemment gagné un procès contre la discrimination. Les agents de nettoyage n’ont pas non plus le droit au statut puisque ces derniers sont employés par des sociétés de sous-traitances. Elle parle aussi de la grève de ces travailleur.se.s du nettoyage qui sont mal considérés et qui ont pu obtenir gain de cause (obtenir 4 euros pour manger notamment). Par ailleurs, Laura nous fait part de cette anecdote : la mère d’Assa Traoré faisait partie de ces grévistes. Enfin, elle termine par dire : « la lutte ne s’articule pas autour du statut de cheminot mais de la mise à mort du service public ferroviaire. »
Une cagnotte en ligne a permis de récolter plus de 400 000 euros pour la moitié des cheminot.e.s et de se mettre en grève. Vous pouvez les soutenir avec un don en cliquant ici.
Anne-Sophie Pelletier nous parle de sa lutte pour les EHPAD. En effet, dans cet EHPAD (établissement dans lequel les personnes âgées sont médicalisées) à Foucherans, l’équipe de soignantes qui doit s’occuper de ces personnes fait des journées de 11 heures. Tout doit se faire rapidement. Un EHPAD public peut coûter 1 700 euros par mois tandis que les EHPAD privés peuvent coûter jusqu’à 10 000 euros par mois. Les personnes âgées finissent par diviser de l’argent par rapport aux biens vendus (maison, voiture etc.) afin d’éviter que les enfants mettent la main à la poche. L’équipe de soignantes doit réveiller les personnes âgées en 15 minutes, le soir il faut les faire dormir en 3 minutes. Anne-Sophie nous dit que le soin ce n’est pas seulement de la « rentabilité » et de « l’efficacité » mais aussi de l’humain.
Les soignantes se sont alors mises en grève, à l’annonce de cette grève, les cadres ne l’ont pas prise au sérieux. La revendication principale était des personnes supplémentaires pour s’occuper des personnes âgées, les revendications salariales passent après. La grève s’est financée par le biais d’une cagnotte pour financer les 8/10 personnes de l’équipe qui ont fait grève. La grève a été médiatisée et a duré 117 jours. Anne-Sophie termine sur une note de fin heureuse : « la lutte a été victorieuse. »
En entracte, la danseuse Marlène Rostaing et la musicienne Leïla Martial nous offrent une performance sur le thème « Se défendre ». Les deux artistes dansent sur un fond sonore reprenant un enregistrement des cris des manifestants.
Nous avons pu nous entretenir avec chacune de ces femmes :
Avec Assa Traoré
Peux-tu te présenter ?
« Assa traoré, sœur d’Adama Traoré, tué le 19 juillet 2016. »
Comment la lutte pour Adama s’organise ?
« Aujourd’hui comme je l’ai dit tout à l’heure, l’argent est le nerf du combat, le système va tout payer pour les coupables et les victimes devront payer de soi-même. On a écrit un livre : Lettre à Adama qui coûte 17 euros et qui permet de financer la lutte. De même, nous avons une cagnotte aussi. On demande aussi de lutter par le fait de partager la page Facebook. »
Est-ce qu’il y a eu des avancées ?
« On aura des avancées sur cette lutte, on est presque à 2 ans du procès, aujourd’hui on attend la mise en examen des gendarmes avant l’été. »
Que représente l’Affaire Adama ?
« L’affaire Adama Traoré est représentatif d’un gros mal-être, de cette France qui va très mal, des violences policières et des gendarmes, des discriminations, du racisme. On parle de la convergence des luttes, c’est un système entier qu’il faut renverser par nos luttes. C’est un système qui fait du mal au pays, à la France, à ses citoyens et qui a fait du mal à mon frère. »
Avec Laura
Peux-tu te présenter ?
« Je m’appelle Laura, je suis cheminote, au syndicat SUD Rail. »
Pourquoi es-tu intervenue à l’événement « Histoires de Luttes » ?
« Ça m’a semblé être un proposition intéressante, le format est différent car c’est pas qu’une conférence. On parle de nos expériences en tant que militante sur nos lieux de travail, c’est important de créer des espaces de convergences des luttes. C’est pour ça que j’ai accepté de venir. »
Pourquoi cette lutte tant que cheminote ?
« Avant tout, d’après les médias on se bat pour notre statut, notre privilège alors que ceux qui n’ont pas la nationalité française n’ont pas le statut. À la SNCF, les sous-traitants de la société ONET dans le 93, on les a soutenus. Il ne faut pas niveler par le bas. On se bat pour le service public, la non-maintenance des transports, l’augmentation du prix du billet, la privatisation de la SNCF. Il y a une espèce de fierté de pouvoir rendre service à ceux qui prennent le train tous les jours. La privatisation en Angleterre a fait grimper le prix des billets. À Londres, le pass navigo est à plus de 300 euros. Ça, ça va toucher davantage les secteurs populaires, les travailleurs, si les prix augmentent ça va être compliqué pour tous. Pour nous, on veut pas être les cheminots en grève, on veut créer une convergence avec tous les autres secteurs : il y a les travailleurs de Carrefour, ceux de l’énergie, d’Air France etc. Toutes les mobilisations qui peuvent agréger les colères face au politique qui veulent nous faire payer les pots cassés. »
Quel est le message que tu souhaites faire passer par rapport à ce que disent les médias ?
« Il y a une analyse à faire, le « cheminot-bashing » que le gouvernement voulait faire passer, Pepy (Président de la SNCF) malgré le fait qu’il veut faire se passer pour celui qui se soucie des usagers est bien content de ses +400 000 euros par an de salaire. Nous, on le considère pas comme un cheminot. Il est du côté de ceux qui font du « cheminot-bashing ». Malgré toute cette propagande, ce matraquage médiatique, de la même manière que les cheminots ont compris qu’ils se battaient pas pour les privilèges, les gens aussi le comprennent. C’est dans les transports publics qu’on va au travail tous les jours. On pourra pas gagner tout seul, il faut chercher la convergence avec d’autres luttes. Derrière, c’est important qu’on gagne pour qu’eux aussi gagnent. Le gouvernement doit être affaibli et moins en force pour faire passer toutes les attaques. »
Avec Anne-Sophie Pelletier
Qui es-tu ?
« Je suis Anne-Sophie Pelletier, la porte parole des ex-grévistes des opalines de Foucherans dans le Jura à l’est de la France. »
Mener un mouvement gréviste, comment cela se passait ?
« C’est une école de la vie la grève, on se bat pas pour soi, on se bat pour un collectif, notre collectif c’est les personnes âgées avant nous-mêmes. On a lutté pour la prise en charge de nos aînés dans les EHPAD et ça c’est important car il ne faut pas oublier que nos aînés sont notre patrimoine commun. Si les états, les oublient, ça devient grave, dans les 20 ans qui vont venir le nombre de personne âgées va augmenter de façon exponentielle… On manque de personnel dans nos EHPAD. Si on met pas des politiques par anticipation dans les années à venir, il y aura plus d’accidents de travail etc, on mesure l’état d’une civilisation dans sa prise de ses aînés, de ses malades, de ses blessés.
Notre civilisation qu’est-ce qu’on veut en faire ? Qu’elle meurt ou qu’elle émerge ? Qu’on la change et qu’il y a une convergence des luttes ? Notre avenir c’est l’avenir de nos enfants, et c’est eux qui vont changer les choses. Les soignants demandent de faire leur travail correctement, il faut continuer à se battre, la lutte de Foucherans est victorieuse, on parle des EHPAD, il y a eu une prise de conscience collective et nationale. »
Comment avez-vous tenu plus de 117 jours ?
« On a tenu parce qu’on a eu une solidarité citoyenne magique. On a eu les familles qui nous ont soutenues, ces femmes qui ont réagi à l’instinct de survie… En étant soutenues, on a pu tenir. Par ces soignants, ces familles, ces aînés etc. »
Ton ressenti sur votre victoire ?
« Oui on a obtenu gain de cause. On n’a pas obtenu la revalorisation sur les primes du dimanche, salaires mais financièrement, c’était pas la priorité. La revendication salariale passe en dernier, on demandait surtout du personnel. Et sur cette victoire, je n’ai pas de mots, ce n’est pas de la magie, c’est exceptionnel. »
Enfin la soirée s’est clôturée avec le repas concocté par le Collectif Place des Fêtes en soutien au collectif La Vérité pour Adama dans un cadre convivial et amical.
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