Robben Island, 1966 — En plein Apartheid, les détenus politiques s’organisent et créent la Makana Football Association
“Tsamina mina, eh eh / Waka waka, eh eh / Tsamina mina zangalewa/ this time for Africa”
Back to 2010, année de la 1ère coupe du Monde de football organisée sur le continent africain. Il aura fallu attendre 80 ans pour que la plus prestigieuse des compétitions de sport collectif foule la terre des Mekhloufi, Weah, Drogba, Eto’o et les autres. C’est le 15 mai 2004, que l’Afrique du Sud est désigné comme pays organisateur, après son échec pour l’organisation de celle de 2006. Les regards du monde entier sont à nouveau tournés vers cette terre de sport, de ballon ovale (les Springboks sont sacrés champions du monde en 1995 face aux All Blacks) mais surtout terre d’Histoire, de luttes, de ségrégation de l’espace et des hommes.
L’équipe de football sud-africaine, je la découvre un soir d’octobre 1997 devant la télé face aux Bleus d’Aimé Jacquet. L’équipe de France remporte ce match amical (2–1) avant de retrouver les « Bafanas, Bafanas » durant la Coupe du Monde 1998. Les supporters de l’OM se souviendront de Pierre Issa, les esthètes de Bene Mc Carthy.
Pour les férus d’histoire, le football et l’Afrique du Sud c’est aussi la Makana Football Association créée en plein Apartheid par les prisonniers politiques détenus sur Robben Island. C’est au cœur même de cette prison naturelle à 10km au large du Cap, que l’initiative portée par Anthony Suze, Liso Sitoto, Marcus Solomons, Sedick Isaacs et Mark Shinner allait permettre aux prisonniers de s’organiser, faire équipe et disposer d’un espace dans lequel ils pourraient s’émanciper et oublier leur condition de détenu.
Makana FA, pour nous, par nous.
Guidés par leur passion et faisant preuve de courage et détermination, les prisonniers politiques vont, une fois par semaine pendant 3 ans, exiger de leur geôliers de pouvoir jouer au football. A l’extérieur, les pressions à l’encontre des autorités sud-africaines (exclusion du pays de la plupart des compétitions sportives internationales à partir de 1964 et surtout alerte de la Croix Rouge sur les conditions de vie des détenus) vont également favoriser une inflexion de l’administration pénitentiaire.
C’est en 1966 que la Makana FA fut fondée du nom du chef Xhosa disparu en tentant de fuir l’île au XIXème siècle. Les compétitions à l’intérieure de la prison purent s’organiser selon les règlements officiels de la FIFA dont les détenus avaient découvert l’existence - par hasard- dans la bibliothèque de la prison. A ce sujet, les archives retrouvées par Chuck Korr, spécialiste de l’histoire du sport et co-auteur du livre « More Than Just A Game: Football V Apartheid », font état de l’existence de 3 championnats, de trophées mais également d’amendes pour non-respect des règles du jeu. En dépit des conditions de détention extrêmement difficiles, auxquelles venaient s’ajouter parfois les divergences idéologiques et politiques entre le Congrès national africain d’un côté et le Congrès panafricain de l’autre, les détenus s’étaient structurés et se rassemblaient autour de la Makana FA.
L’Ecole des Champions
Les matchs avaient lieu les samedis et duraient 30 minutes. Sur le terrain, plusieurs joueurs allaient plus tard prendre en charge le destin politique de leur pays. Jacob Zuma, président de l’Afrique du Sud entre 2009 et 2018, était ainsi un « solide » défenseur lorsqu’il n’officiait pas en tant qu’arbitre. Nelson Mandela, qui a passé 18 de ses 27 ans d’incarcération sur Robben island, ainsi que Walter Sisulu et Ahmed Kathrada étaient cependant interdit de terrain et maintenu à l’isolement. Un mur avait été même érigé devant la cellule de celui qui dira plus tard que «le football, aussi bien que le rugby, le cricket et les autres sports collectifs, a le pouvoir de guérir les blessures».
Parmi les hommages qui ont marqué les détenus, celui de Ruud Gullit en 1987 avait une saveur particulière. En dédiant son ballon d’or à Nelson Mandela, il justifiait le rang de héros auquel les prisonniers l’avaient érigé. Par ses prouesses sur le terrain, beaucoup d’entre eux s’identifiaient en effet à lui jusqu’à arborer les mêmes dreadlocks.
More than just a game — more than just a story
C’est en juillet 2007 que la Makana FA est devenu le 1er membre d’honneur de la FIFA. Un long-métrage réalisé par Junaid Ahmed (More Than Just a Game) et qui revient sur cette incroyable, mais trop méconnue, histoire est sorti en novembre de la même année. Il ne faut néanmoins pas se méprendre, l’essentiel du temps des détenus politiques sur Robben Island était consacré à l’enseignement et à l’éducation politique. Rien ne pouvait arrêter leur quête incessante de savoir, pas même la répression des gardiens: étudier, écrire et transmettre dans la clandestinité…
La Makana FA a le mérite toutefois de mettre en évidence le caractère émancipateur et rassembleur du sport mais également sa forme contestataire et résistante. Le temps d’une rencontre, les prisonniers retrouvaient leur dignité humaine lorsque qu’ils renouaient avec des émotions qu’on essayait de leur ôter. Laisser éclater sa joie après une victoire, hurler sur son coéquipier pour qu’il se replace, l’encourager lorsqu’il rate une action décisive ou lui courir après pour l’enlacer dans les bras pour célébrer un but, tous ces moments qui font vous sentir en vie.
Et plus globalement, que dire de la volonté de ces hommes de s’auto-organiser, se structurer, créer leur propre espace de liberté pour faire de l’une des prisons les plus violentes au monde, un laboratoire politique et universitaire. Anticiper, préparer l’avenir donc, pour décrocher la victoire finale : l’abolition de l’Apartheid et la naissance de la Nation Arc En Ciel !
Article rédigé par Ahmed AIT BEN DAOUD
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