Sif, 30 ans, victime collatérale d’un conflit, abattu en pleine rue à Marseille

Il était au mauvais endroit, au mauvais moment. Cela ne fait aucun doute pour celles et ceux qui ont connu Sif. La mort de ce jeune homme de 30 ans, atteint de trois balles alors qu’il était venu pour mettre fin à une altercation. Même si sa mort est liée à un conflit de longue date que tout le monde connaît entre deux clans qui se partagent un même territoire, Sif ne semblait pas en faire partie.

 

La victime a été atteinte de plusieurs balles de 9 mm avant 19 h 30 à l’angle du boulevard Viala. Le tireur a pris la fuite à scooter. / Photo d’illustration.

Sa famille n’était même pas au courant de sa mort que les journaux locaux avaient déjà titrée dessus. Reprenant le peu d’informations qu’ils avaient sur lui. Réduisant ainsi sa vie à une dépêche. Cette soirée du dimanche 31 octobre 2021, un jeune homme de 30 ans est mort dans un règlement de comptes par balles dans la rue de Lyon, dans le 15ᵉ arrondissement de Marseille. Le lieu est bouclé, les policiers fouillent le moindre recoin et interrogent les commerçants des alentours. Après l’arrivée des pompiers, s’ensuivent 30 minutes de massage cardiaque interminables. 19 h 58, le décès de Sif est prononcé. La scientifique, cache le corps sans vie avec une bâche blanche, elle examine la scène de crime. Plusieurs personnes sont interrogées, mais seulement quelques-unes d’entre elles prennent le risque de raconter ce qui s’est passé. Un habitant de la rue d’en face affirme : « La personne qui l’a abattu s’embrouillait avec quelqu’un d’autre. Mais tout s’est passé super rapidement et le monsieur s’est retrouvé à terre. » Une bande d’amis est en deuil, une famille ne se doute pas qu’elle vient de perdre son fils, une femme impuissante face au corps sans vie du père de sa fille. Quelques médias s’accordent à dire que la victime ne devait pas être là par hasard en se basant sur une “source policière”, pourtant, dans le rapport du procureur, Sif est décrit comme « inconnu judiciairement pour des faits de trafic de stupéfiants. »

 

Tués par des balles qui ne leur étaient pas destinées

Son ami d’enfance est encore choqué par sa mort, mains croisées tellement fort que le sang ne circule plus, visage crispé et tête baissée. Il assure qu’il s’agit d’une victime collatérale d’une guerre d’ego entre deux clans qui se battent pour maintenir leur pré carré sur la voie publique. Il poursuit avec tristesse et culpabilité : « je lui en veux, car il est allé dans un endroit où il y a constamment des problèmes. Il était au mauvais endroit, au mauvais moment. »

Le cas de Sif n’est pas isolé, quatre mois avant sa mort. Une jeune fille de 17 ans a été tuée de trois balles dans la tête. Dans la nuit de jeudi 8 à vendredi 9 juillet, près de Marseille, alors qu’elle se trouvait dans une voiture criblée de tirs au fusil d’assaut et au fusil à canon scié. Selon des sources sur place interrogées par La Provence, cette jeune fille serait une victime collatérale.  En 2015, un jeune garçon de 14 ans, Moussa, tué dans une fusillade à Trappes dans les Yvelines. Selon une source policière, ce collégien est la victime collatérale d’une vengeance nourrie par des rivalités de quartiers.

À ce jour, aucune image amateure n’a jamais été diffusée sur les réseaux sociaux. Sur les images des caméras de surveillance des commerces, on voit les pompiers prodiguant un massage cardiaque. La scène est chaotique. La victime est touchée par plusieurs balles, allongée sur le sol, gisant dans une mare de sang, derrière une voiture blanche garée sur le trottoir.

« Les lois de la république ne s’appliquent plus dans cet arrondissement. »

Voilà maintenant près de sept mois que Sif est mort. Les médias locaux n’ont pas donné suite à leur dépêche concernant sa mort. Après tout, c’est un homicide de plus. La victime est sous terre. Le tireur est toujours en liberté. À Marseille, près de 40 personnes ont été tuées par arme à feu en 2021. Malgré l’endroit peu recommandable où la victime se trouvait, il n’est pas normal de mourir d’une balle perdue de 9 mm. Comment est-il possible qu’un jeune homme de 31 ans puisse perdre la vie dans des circonstances aussi violentes et confuses ? Son collègue Ali, présent ce soir-là, revient sur les faits  : « J’ai été moi aussi touché par sept balles à la jambe et au pied lorsque j’ai voulu arrêter le tireur. » Sept mois après le drame, le sentiment de vengeance reste entier, laissant peu de place au deuil. Depuis des années, les policiers sont en sous-effectif, dans l’impossibilité de faire correctement leur travail de protection et de surveillance dans certains quartiers chauds de Marseille. Et si le décès de Sif était la conséquence d’une perte de contrôle sur cette rue ? 

La rue de Lyon, 15ᵉ arrondissement de Marseille / Photo d’illustration

Le 15ᵉ arrondissement de Marseille est devenu l’un des quartiers les plus dangereux de Marseille. Le quartier était autrefois paisible et plein de vie. Fabian, l’un de ses habitants, se souvient de l’époque où la tranquillité et le vivre-ensemble y régnaient. L’un de ses amis ajoute : « Les lois de la république ne s’appliquent plus dans cet arrondissement. »  

Qui était Sif ?

Fils cadet d’une famille de trois enfants, Sif est né et a grandi en Algérie. Sa mère est mère au foyer et son père responsable à la mairie. Ils vivent en Algérie. Le frère aîné de Sif âgé de 35 ans, habite toujours avec ses parents dans une maisonnette de trois chambres et un salon. Quant à la benjamine de la famille, elle est mariée et a 26 ans. En cinq ans de vie en France, Sif n’est retourné qu’une seule fois au pays afin de pouvoir économiser suffisamment d’argent. Son objectif était d’arrêter son travail de livreur pour s’acheter une dépanneuse et travailler à son compte. Sif avait réussi à acheter sa dépanneuse, c’était trois jours seulement avant sa mort.

Retour sur la journée du drame

Sif a fini le travail à 18 h. Il s’apprêtait à rentrer chez lui quand ses deux collègues lui ont demandé de les rejoindre rue de Lyon, à 30 minutes de son lieu de travail. Quand il arrive, l’altercation entre son collègue Ali et les deux jeunes a déjà commencé. Selon les quelques témoins, Sif a voulu mettre fin à l’altercation pour éviter que cela ne dégénère, c’est à ce moment-là que l’un des jeunes a fait trois pas en arrière et sorti son arme.  D’après un témoignage, le tireur n’aurait pas eu l’intention de les tuer, il aurait visé les jambes d’Ali. Flatté dans son égo par son complice, il a tiré plusieurs fois. Novice, le jeune ne maîtrise pas le mouvement de son arme de poing. Les balles fusent, atteignant même une voiture garée à côté. Sif se retrouve dans l’angle de tir. Il est fauché par trois balles de 9 mm : une au niveau de l’épaule, une autre à la jambe, mais celle du flanc droit lui sera fatale. Ses amis et sa famille ne savaient toujours pas comment il a été touché. Les résultats de l’autopsie indiquent que son décès est “consécutif à des lésions par arme à feu”. Un infirmier de passage a tenté de le réanimer en attendant l’arrivée des pompiers. Ils ont rapidement repris le massage cardiaque. Relayés par le Smur avec le défibrillateur et la ventilation artificielle. La tentative de réanimation va durer trente minutes. 19 h 58 : le docteur du Smur déclare Sif mort.

Le docteur du Smur déclare Sif mort des suites d’un arrêt cardio-respiratoire. / Photo d’illustration par Mat Napo via Unsplash

Pendant ce temps-là, en Algérie, les parents de Sif ne se doutent de rien malgré l’appel téléphonique quotidien manqué.  Le jour même, sa sœur apprend la nouvelle aussi soudainement que brutalement : en tombant sur un post concernant la mort de Sif sur les réseaux sociaux. En pleurs, elle annonce à ses parents : « Ils l’ont tué, vous ne le reverrez plus. » Le père, sous le choc, fait un malaise. La mère ne réagit pas. Par la suite, le psychologue leur explique qu’elle a un choc psychologique et que son cerveau refuse cette information : « J’ai perdu l’un des piliers de ma vie. » Sa mère nous confie : « Je suis doublement peinée. En plus de la perte de mon fils, c’est un déshonneur d’apprendre qu’il est mort dans des conditions aussi ambiguës. La peur qu’on lui attribue un profil de voyou au simple fait qu’il soit mort dans une rue à mauvaise réputation me détruit. »

 

« Je voulais juste lui parler, lui dire que je l’aime et qu’on se rejoindra dans l’au-delà. »

À l’angle du boulevard Viala, les forces de l’ordre ont bouclé le quartier. Le secteur est sombre, éclairé par les gyrophares bleus qui donnent une atmosphère étouffante. Gendarmes en uniforme, policiers et police scientifique sont déployés dans toute la rue. Ils mènent l’enquête, cherchent des armes, des preuves. Ils récupèrent les bandes des caméras de surveillance. Sur les lieux, la femme de Sif est bloquée par les policiers au moment où les scientifiques couvrent le corps inanimé de son mari. Elle se rappelle : «  J’étais tellement sonnée que je n’arrivais pas à le voir alors qu’il était en face de moi. Je voulais juste lui parler, lui dire que je l’aime et qu’on se rejoindra dans l’au-delà. » Son corps cède sous le coup du choc. 

Aujourd’hui, l’entourage de Sif continue d’attendre l’arrestation du tireur et de ses complices. Une enquête pour homicide volontaire avec préméditation a été ouverte. 

Par Manel Benamara

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