Rencontre avec une femme touchante tant par son énergie que par son histoire.
Souad a su associer « art » et « thérapie » à travers ses toiles aux saveurs marocaines. Nous vous invitons à un voyage épicé au cœur d’un souk oriental.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Souad GOJIF, je suis artiste-peintre. A la différence de nombreux artistes peintres, je n’utilise pas de peinture mais des épices et des huiles. C’est ce qui me caractérise. Aujourd’hui, je suis la seule à être connue pour utiliser cette technique.
Pourquoi ce choix de devenir « la reine des toiles épicées » ?
Suite à une maladie dont j’ai été touché, l’anorexie mentale. Celle-ci m’empêchait de me nourrir. Les médecins ont longtemps cherché un remède, médicaments en plus de la thérapie, pour m’aider à venir au bout de cette maladie. Nous nous sommes dirigés vers l’art-thérapie.
Comment as-tu trouvé un remède à ta maladie ?
Un jour j’ai rencontré un médecin généraliste qui m’a dit « il faudrait que tu représentes ce qui te dégoûte réellement dans l’alimentation ». Les odeurs culinaires ne m’inspiraient que du dégoût. C’est lors d’un mariage marocain que j’ai pris conscience de la source de ma maladie « les épices ». L’épice représente le goût, un légume, par exemple, sans épices est considéré comme « fade ».
Depuis combien de temps travailles-tu avec cette technique?
Je travaille avec les épices depuis maintenant cinq ans sur des toiles de coton et/ou du lin. Un peu comme pour le henné d’une mariée, je mélange les épices avec des huiles naturelles. Avec le temps, j’ai développé ma méthode en ajoutant des matériaux spécifiques comme du sable, du gingembre, de la cannelle et de l’ambre.
Toiles réalisées par Souad, composées de gingembre, safran, paprika et de poivre noir. Elles sont actuellement exposées dans nos locaux.
L’art-thérapie t’a aidée à surmonter tes angoisses, RECOMMANDEs tu cette méthode pour aider les personnes atteintes d’anorexie?
« Il n y a pas un moyen ou un art qui soit déjà désigné d’avance pour aider à combattre telle ou telle maladie. Chacun doit puiser dans son histoire, ses envies, dans ce qui pourrait l’aider et ce qui lui est familier. Il n’y a pas une solution mais des moyens que l’on peut trouver dans l’art en laissant « parler » ses idées. Chacun peut découvrir dans l’art-thérapie un moyen de soulager ses maux.
Tu as en PARALLÈLE un MÉTIER prenant. à quel moment trouves-tu le temps de RÉALISER tes ŒUVRES? (Souad est attachée de presse )
Lorsque j’ai des périodes où je sens que je peux sombrer, je me mets à la peinture. La relation que j’ai avec les épices est complexe et contrariante . Il me faut beaucoup de concentration pour manipuler ces matériaux. La nuit je me sens plus à l’aise pour travailler. Je ne suis pas dérangée par le bruit et mon imagination est beaucoup plus légère.
PEUt-ON CONSIDÉRER AUJOURD’HUI QUE TU ES GUÉRIE DE CETTE MALADIE?
Je suis guéris de l’anorexie sévère, où j’ai pu atteindre 38 kilos. J’ai dû être hospitalisée car je ne pouvais absolument plus insérer d’aliments dans ma bouche. Je souffre toujours de troubles alimentaires cela reste gérable.
« s’accrocher à la vie » ©linstable photographie.
Beaucoup de jeunes filles s’identifient aux mannequins et se mettent en danger pour avoir une taille de guêpe. Quels conseils as-tu à leur donner ?
Il faut d’abord savoir qu’il y a différentes formes d’anorexies. Celle dont vous parlez est un peu mimétique. Ces jeunes ne sont pas conscients de la gravité et du danger de cette maladie. C’est une maladie qui peut être mortelle, qui peut provoquer des arrêts cardiaques. On peut plonger rapidement dans cette pathologie. Comme la plupart des troubles psychiatriques, celle-ci reste très difficile à guérir. Malheureusement, on tombe très rapidement dans l’anorexie mais il faut beaucoup de temps pour s’en relever. Il faut prendre conscience que ce n’est pas un régime ; le corps met énormément de temps à récupérer.
La représentation féminine dans la publicité est fausse. Une femme de 20 ans ne peut pas peser 40 kilos, procréer ou être en forme avec ce poids. D’ailleurs celles qui guérissent de l’anorexie ont souvent des problèmes pour avoir des enfants, le corps ayant subi un grand traumatisme.
Enfin si vous souffrez de boulimie, d’anorexie ou de troubles alimentaires quels qu’ils soient, je vous conseille avant tout d’en parler à vos proches, votre médecin, au psychologue scolaire, ou à prendre contact avec des associations spécialisées. Je trouve que l’anorexie est vulgarisée, il faut savoir d’où provient ce trouble qui cache parfois un malaise plus profond. N’ayez pas honte d’en parler et n’hésitez pas à avoir recours à une thérapie.
Si on lèche ta peinture y a t’il un goût particulier?
(rires) Figure-toi que sur mes premières toiles, on peut encore sentir la cannelle et le poivre malgré le temps qui passe. Elles ont posé problème car elles pouvaient sentir durant plusieurs jours. Aujourd’hui, j’utilise des matériaux plus artificiels et sophistiqués, tu ressentiras donc moins les goûts.
J’ai exposé également dans des écoles de motricités où il y avait des non-voyants. Cela leur a permis de toucher et de sentir les toiles. Ces enfants m’ont aidée à faire évoluer mes réalisations.
Espoir et création a souhaité présenter les toiles de Souad aux jeunes de l’Institut de Motricité Madeleine FOCKENBERGHE de Gonesse.
Ils ont été fascinés par l’histoire de ces toiles et des techniques utilisées. Une rencontre avec Souad et ces jeunes est prévue dans les semaines à venir.
Que pensent tes parents de ce choix ?
Depuis mon enfance, je suis une « touche à tout ». Cela les faisaient rire de me voir commander des épices du Maroc (rires). C’était le nouvel hobby de leur fille, ils ont pris conscience de l’envergure de ma passion lorsque j’ai commencé à organiser des expositions. Ils continuent de me soutenir en assistant à chacun de mes événements.
Bonne vivante, Souad ne s’est pas faite prier pour danser en pleine rue avec nos jeunes.
QUELS SONT LES AVANTAGES D’ÊTRE UN ARTISTE/PEINTRE ?
L’avantage pour moi est que cela me fait du bien. Je parle de l’art-thérapie qui me parait être un peu comme un monde parallèle. Un monde où je peux m’exprimer librement. Quand on est dedans, on va de l’avant et on entre dans un milieu particulier, celui du marché de l’art. Mais l’avantage le plus important, c’est qu’on s’éclate (rires).
arrives-tu à vivres de cet art?
Actuellement non, mais j’ai un travail fixe à coté. C’est un choix et avant tout une passion qui me tient beaucoup à cœur. Je n’ai pas très envie de mélanger l’argent à cette passion. On m’a proposé d’exposer à New-York dans des grands salons d’art contemporain mais j’ai refusé. j’ai envie de garder cette petite partie pour moi.
Quelle est ta vision de l’art aujourd’hui ?
Je me considère comme quelqu’un de novice, avec un bagage « scolaire » de par mes connaissances d’œuvres et d’artistes. Ce qui me dérange dans l’art, c’est qu’il n’est pas aussi universel que cela mais avant tout un monde où le business prime sur le reste. Certains artistes ont beaucoup de talent mais ne bénéficient pas de bons réseaux. L’art est vital donc ce n’est pas normal que l’on soit limité. On a deux formes d’arts : un art ouvert où l’imagination est libre et un art fermé que l’on retrouve dans les galeries, les musées…
enfin Où peut-on retrouver tes toiles ?
On peut retrouver mes dernières toiles sur le site www.souad-fejri.fr. Ces travaux ont été exposés en 2015 à l’Espace Pierre Cardin (en parallèle de la FIAC). J’expose principalement à Paris mais je serais ravie d’exposer dans vos locaux.
Quelques chiffres à retenir sur l’anorexie
I – Près de 1,5% de la population féminine, de 15 à 35 ans souffrent de cette maladie en France (environ 230 000 femmes).
II – Les jeunes de moins de 25 ans, avec 70 000 adolescents touchés qui correspondent à 60-70% des anorexiques.
III – 5 à 10% des anorexies entraînent une tentative de suicide ou le suicide tout simplement.
IV – 170 000 adultes de 20 à 45 ans sont anorexiques, en France. 100 000 pour cause de vieillissement, 70 000 suite à l’évolution de notre société qui pousse à suivre des critères de beauté définis.
V – 15000 décès par an des suites d’une anorexie ou d’une boulimie (chiffre en augmentation constante).
Bonjour Souad,
J’ai été touchée par la sincérité de tes mots, et cette réconciliation que tu as pu engager avec ton corps, l’alimentaire, à travers l’expression artistique. Bonne continuation pour la suite de tes projets 🙂
Bravo à Souad et à toute l’équipe d’Urban Street Reporters.
CONTINUEZ !
Merci Karima pour vos encouragements.
Cet article est vraiment très enrichissant , et c’est un plaisir de découvrir l’art thérapie par l’art platique ( ou plutôt les épices). Bonne continuation à ubr et pour Souad.
Merci à vous ✌️
Bonjour Souad et merci pour ce dire
très touchant
que la joie vous porte
Chaleureusement, c.