Mais que fait Macron pour la banlieue ?

Depuis sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron est devenu président de la République. Ça tout le monde le subit, mais qu’a t-il prévu de faire pour les quartiers populaires ? C’est cette question, celle de la banlieue, des quartiers populaires qui va nous intéresser. Derrière ses promesses de campagne, il y a leurs applications, alors où en est-on ? Comment Macron va t-il s’occuper du problème des inégalités ? Une inégalité à la fois économique mais aussi raciale. Cette question est fondamentale quand nous vivons dans les quartiers populaires car les classes qui y habitent sont principalement des classes ouvrières, des employés, des chômeurs. Au sein de cet article, il s’agira d’éclaircir la position politique de Macron, son projet politique, d’énumérer les différentes promesses de campagne ainsi que les mesures en réflexion, appliquées, ou pas encore appliquées. Il s’agira aussi de faire une critique des problèmes que peuvent poser ces mesures.

Crédit: Candice Nedelec

Avant toute chose, il est important d’éclaircir la position de Macron dans l’échiquier politique, beaucoup affirment que ce dernier est un « ultralibéral » et qu’il est de « droite ». Effectivement, entre la Loi du Travail ou son traitement envers les migrants, Macron apparaît comme étant un candidat de droite. Mais n’y a t-il pas des nuances à prendre en compte afin de comprendre le véritable projet qui se profile derrière ? En effet, Macron reçoit des critiques venant de la droite libérale car ce dernier ne touche pas à la retraite et qu’il ne va pas assez loin dans la question des dépenses publiques. Face à ces contradictions, Macron ne peut pas être étiqueté comme étant un « ultralibéral » (néologisme souvent utilisé pour désigner l’application « agressive » d’une politique libérale). Macron est un « social-libéral » (d’ou le fait qu’il insiste sur son appartenance gauche/droite), le « social liberalism » est une doctrine qui tente de concilier la notion de liberté et d’égalité, en vogue aux Etats-Unis, il a été très peu présent en France. Le projet derrière le social-libéralisme est de fonder un système éducatif efficace, un système de santé ouvert à tous, et de rendre flexible les emplois (on remarquera que les mesures actuelles de Macron vont pleinement dans ce sens). Outre cela, il y a aussi l’uberisation de la société que Macron soutient et évidemment la création des startups. Le projet social-libéral de Macron s’articule autour de l’économie collaborative. L’économie collaborative est un modèle social-libéral fondant des liens économiques entre les citoyens via des plateformes de partage de bien ou de service. C’est le modèle d’Uber, d’Airbnb, de Blablacar et d’autres startups. Cette économie de la startup est le coeur du projet de Macron d’où le fait que ce dernier considère le revenu universel comme étant une « idée à creuser« , pourquoi ? Car le revenu universel est un moyen pour que les individus puissent créer une startup en prenant le moins de prise de risque possible. Ou encore qu’il a supprimé le RSI (Régime Social des Indépendants) pour créer la sécurité sociale des indépendants. En bref, il est important d’approfondir sur la position et le projet de Macron afin de comprendre ce qu’il va faire pour les quartiers populaires.

Le premier fait notable dans le projet politique d’Emmanuel Macron vis-à-vis des banlieues se trouve dans son discours où il déclare qu’il est candidat à la présidentielle. Ce discours est fort puisqu’il est prononcé en Seine Saint-Denis à Bobigny. Outre le discours évident sur la mondialisation, le terrorisme, le chômage, la sécurité et le champ lexical utilisé : projet, jeune, travail, réussir. Il va dire une phrase forte sur les jeunes des quartiers populaires : « Il n’y a pas de fatalité aujourd’hui à ce qu’un jeune qui vient des quartiers difficiles comme celui où nous nous trouvons ne puisse pas trouver d’emploi et parfois même pas le droit à la formation et le lieu où nous sommes, à ce titre rien d’innocent » (Macron se trouve dans un lieu de formation pour les jeunes apprentis). Puis plus loin, il dit ceci : « […] la France des quartiers a-t-elle besoin de mobilité elle est aujourd’hui assignée à résidence alors qu’elle veut réussir qu’elle veut au fond que nous permettions aux jeunes et moins jeunes d’accéder à l’école, d’accéder à la culture, d’accéder à l’emploi […] ». La politique de Macron va se concentrer sur le cas des banlieues dans lesquelles il n’est pas sans savoir qu’il y a des inégalités croissantes. Mais comment va t-il s’y prendre ? Et bien Macron en associant l’emploi à la réussite fait rentrer dans son projet la banlieue comme un moyen de création d’une nouvelle élite, de cette jeunesse qui veut travailler, innover, entreprendre. La banlieue ne sera plus délaissée mais divisée entre d’une part les jeunes qui ont délaissé l’école (ceux qui sont « rien ») et ceux qui veulent entreprendre des projets (des « jeunes et dynamiques »).

« Macron jouant au foot avec les jeunes à Sarcelles » Crédit photo : AFP

Emmanuel Macron est allé à la rencontre des jeunes des quartiers populaires pour y faire un foot à Sarcelles. Il va interroger plusieurs acteurs : les jeunes et les responsables associatifs, les parents. Le reste de la foule est composé de journalistes ou d’agents de la sécurité. Une opération de communication qui a eu un large écho. À ce même moment, Marine Le Pen était avec les marins pêcheurs à Grau-Du-Roi dans le Gard. Il dit ceci : « À Sarcelles il y a des gens de toutes nationalités, il y a des gens qui vivent ensemble, Il a des problèmes d’insécurité mais ce n’est pas une ville qui s’embrase. La France ce n’est pas ce visage haineux et rétréci que porte Marine Le Pen ». Macron montre qu’il est le seul candidat à pouvoir faire barrage à Marine Le Pen pouvant mobiliser les quartiers contre celle-ci (importance des quartiers dans la politique de Macron).

Mais pourquoi la jeunesse des banlieues serait réceptive au discours libéral de Macron ? A priori, nous pouvons nous dire que les jeunes sont prolétaires et racisés et qu’ils n’ont pas d’intérêt à aller voter ou soutenir Macron. Et pourtant, il y a bel et bien, aussi étonnant que cela puisse paraître, une jeunesse des quartiers pouvant être réceptive au discours prôné par Emmanuel Macron. Pour y répondre, je vais vous prendre 3 exemples afin d’illustrer cela:

Le premier exemple est plutôt original mais quelque part révélateur d’une problématique bien plus importante. Il y a le cliché assimilant les jeunes arabes et noirs des banlieues à la filière STMG. Nous le voyons dans les réseaux sociaux :

— Le Rat (@Le__Rat) 8 octobre 2015

Le deuxième exemple est celui d’assimiler le jeune arabe ou noir de banlieue à un chauffeur Uber.

(pour des raisons techniques les tweets ne s’affichent pas correctement)

Macron ne se gêne pas à assimiler implicitement les jeunes des banlieues à des trafiquants de drogue auquel Uber leur permet de sortir de cela.

Le concours Startup Banlieue avec l’équipe finaliste de Frédéric Nguyen ayant travaillé sur notre média !

Le troisième exemple que je pourrais donner c’est l’augmentation des initiatives visant à promouvoir la « diversité » dans entrepreneuriat. Il y a l’initiative « Startup Banlieue », « Les Déterminés » de Moussa Camara, le forum « Osons la banlieue » dédié au potentiel économique de la banlieue, Ghett’up qui organise des afterwork.

Ici il n’est pas question de démontrer que ces clichés sont vrais ou faux, si ces clichés sont présents, c’est bien parce qu’ils sont révélateurs d’une surreprésentation d’une population sur une filière ou un travail spécifique. Une filière plus « accessible » (STMG) ou un travail « moins discriminant » (Uber). L’accessibilité et la discrimination sont deux soucis auxquels font face les jeunes de banlieues justement. Nous connaissons tous la conseillère d’orientation qui va nous conseiller une filière plutôt qu’une autre (nous retrouvons ce genre de tweet  ou encore ce tweet) et les problèmes de discrimination dans l’emploi. Par ce biais, Macron va pouvoir affirmer qu’Uber et l’entrepreneuriat répondent à ces besoins se positionnant comme « sauveur ». Mais pour autant, n’est-ce pas le système qui a créé ce besoin chez une partie des jeunes de banlieue ? C’est bien ce système qui crée un lien de dépendance entre l’entrepreneuriat et une partie de la jeunesse des banlieues. Ceci permettant de créer une élite. C’est bien cette création d’une élite qui va tout changer.

Macron est devenu président, il peut passer à l’assaut. Actuellement, le gouvernement planche sur un « Plan Banlieue ». Mais avant de parler de ce projet pour la banlieue, il est utile de faire un bref historique des projets menés par les anciens présidents depuis plus de 4 décennies.

Les grands ensembles de Nanterre

En 1977, le programme « habitat et vie sociale » est lancé par Jacques Barrot ministre du logement créant une police de proximité et se concentrant sur l’aménagement de 53 sites en banlieues. En 1981, il y a la création de la ZEP (Zone à Education Prioritaire) dans le domaine de l’éducation (mesure efficace d’après une étude de Thomas Piketty, auquel le nombre d’élèves par classe a diminué et les résultats scolaires ont augmenté), la ZEP est une première rupture au paradigme de l’égalité républicaine (élément important pour la suite). En 1983, « Banlieue 89 » fait son apparition pour la rénovation des cités. 1996 voit l’arrivée par décret des ZFU (Zone Franche Urbaine) permettant aux entreprises de s’installer et d’avoir des avantages fiscaux (en particulier dans le 93). C’est une première volonté de créer un lien entre la banlieue et le monde entrepreneurial. Depuis 1999, nous avons vu « Rénovation urbaine et de solidarité« , en 2005 « Programme national de rénovation urbaine« , « Espoir Banlieue » sous le quinquennat de Sarkozy et « Emplois Francs » sous Hollande. Ces projets ont eu une efficacité discutable, mitigée, voir absente. Ces projets ne sont pas des projets de rupture, mais seulement une continuité de ce qui se faisait déjà, seulement avec des financements supplémentaires. En constatant cela, on peut se poser légitimement la question de savoir, si le projet de Macron n’est pas un éternel recommencement avec le même paradigme des financements à tout va ? Et pourtant, il y a tout l’air d’y avoir un changement de paradigme.

Un rapport de Jean-Louis Borloo sur les banlieues a été remis à Edouard Philippe le 26 avril compte 19 mesures à destination des jeunes de banlieues. Tout d’abord, nous avons des mesures « normales » qui n’établissent pas une rupture concrète avec ce qui se faisait avant, tel qu’un fond financier d’urgence pour les communes et la création d’institutions culturelles. Des mesures « polémiques » comme le renforcement de la police. Mais parmi toutes les mesures en réflexion sur ce rapport, il se trouve une mesure particulière: création d’une académie des leaders. Cette nouvelle école qui va siéger auprès de l’ENA sera chargée de recruter 500 jeunes par an, sur la base d’un concours très sélectif, et auquel les élèves vont bénéficier de 1700 euros par mois durant 3 ans. Le concours évaluera le QI, la capacité à travailler en groupe, l’ouverture au monde, la capacité digitale. Sans avoir besoin d’un diplôme, pour les jeunes de moins de 30 ans, qui pourront accéder à des emplois importants dans une des trois fonctions publiques.

Logo de la république française

Pourtant cette mesure constitue une rupture avec l’égalité républicaine. En effet, cela rentre en contradiction avec l’article 6 des droits de l’homme sur lequel se fonde la doctrine de l’Universalisme Républicain: « …tous les citoyens (…) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents… ». Nous sommes face à une mesure de discrimination positive auquel le Conseil Constitutionnel avait auparavant déjà tranché sur la question en 2004. Il est formellement inconstitutionnel d’établir une quelconque discrimination positive basé sur le sexe, la race, la religion. Mais qu’en est-il de discriminer positivement des individus en fonction de l’origine sociale ? Si cette mesure est appliquée, la question fera inévitablement débat ouvrant la porte à la remise en question de l’Universalisme Républicain. Ce modèle d’intégration nationale est une « spécificité française » comme l’explique le chercheur français Louis Georges-Tin dans cette tribune.

La discrimination positive est une solution permettant de répondre aux problèmes de discriminations. La discrimination positive peut se baser sur des facteurs socio-économiques, sur la race, le sexe, la présence d’un handicap ou autres. Il est difficile de connaître exactement quel est l’effet d’une discrimination positive à long terme. Néanmoins, si on s’appuie sur les données statistiques du New York Times, la disparition de la discrimination positive (programme de « l’affirmative action » comprenant d’autres spécificités propres au contexte américain) dans certains Etats a contribué à augmenter les inégalités raciales. Par exemple, en Californie à l’Université de Berkeley nous comptons seulement 11% d’étudiants hispaniques en première année pour 49% des hispaniques en âge d’aller à l’Université. À l’Université du Michigan dans l’Etat portant le même nom, les Noirs représentent 19% des individus en âge d’étudier à l’Université mais ne représentent que 5% des étudiants en première année. Une autre étude conduite par les chercheurs Joao Ramos et Bernard Herskovic démontre que la discrimination positive prenant en compte des facteurs socio-économiques seraient une solution permettant de diminuer les inégalités socio-économiques. La discrimination positive en faveur des revenus les plus bas permettrait une augmentation de la production globale, une augmentation du bien être tout en faisant en sorte que ces effets persistent sur plusieurs générations, le tout en se basant sur plusieurs systèmes éducatifs, aux Etats-Unis comme au delà.

ParcourSup

Pour en revenir à Macron, celui-ci tout en tentant d’ouvrir la porte à la discrimination positive, va augmenter les inégalités entre les élèves des quartiers populaires et ceux n’y habitant pas, dans l’accès à l’Université. Le président a installé une sélection à l’Université basé sur le parcours des élèves par le biais de la plateforme ParcourSup. Or, cette mesure risque d’accroître les inégalités raciales, tout comme c’est le cas aux Etats-Unis. Le journal « Libération » a publié un article alarmant sur le renforcement des inégalités socio-économiques remettant en cause l’efficacité de cette mesure. Nous manquons de diplômés, de financement et le coût des masters en grande école augmente. En s’appuyant sur les données de l’Observatoire des Inégalités , le journal écrit ceci : « 14,6 % des étudiants de licence sont enfants d’employés et 12,7 % enfants d’ouvriers. Ces chiffres tombent respectivement à 9,7 % et 7,8 % en master et à 7 % et 5,2 % en doctorat, alors que ces catégories représentent plus de 50 % de la population active. ». Pour rappel, ParcourSup va jusqu’à demander des CV pour sélectionner un élève. Comment penser que cette mesure démontrerait une quelconque efficacité ? En particulier, pour la jeunesse des quartiers populaires ?

En bref, les mesures de Macron à destination des quartiers populaires risqueraient de diviser la banlieue, accentuant les inégalités entre ceux qui « réussissent » et ceux qui ne sont « rien ». Macron va s’appuyer sur une partie de la jeunesse des banlieues afin de former une élite. La formation d’une élite est un moyen pour l’Etat d’éviter de traiter les problèmes des banlieues en réformant son système et ses institutions. Les nouvelles élites des quartiers populaires seront dès lors chargées de pousser les quartiers vers le haut. D’autre part, le Président va sceller le destin des élèves des quartiers populaires en leur évitant d’accéder à l’Université, le choix sera de travailler avec acharnement pour y trouver une place, réussir à se faire prendre par l’académie des Leaders ou de travailler dans des emplois de service. Enfin, nous pouvons noter que si l’idée de discrimination positive s’applique, la gauche française pourra dès lors reprendre l’idée pour pouvoir la généraliser et inclure le sexe et/ou la race dans différents domaines.

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